Lekerly ma vie en bleue
Mon premier vol
Nous sommes déjà le 23 juillet et cela fait déjà deux jours que je reste blottie au fond du nid.
Ce matin, Ioda et Leila accompagnent papa dans leur quête de nourriture. Il est évident qu’ils adorent ces moments, ils rayonnent de bonheur.
Vers 10 heures, Leila est revenue me voir, elle se montre enthousiaste. Il lui tarde que je sois avec elle, elle n’arrête pas de me dire que c’est génial.
De mon côté, dans mon nid, je commence à trouver le temps long, même Ioda commence à me manquer, c’est pour dire. Depuis notre naissance, on a toujours vécu les trois ensembles et là, je suis souvent seule.
Je regarde en permanence au-dessus du nid. Pendant des jours, je n’ai vu que le haut de notre épicéa et des arbres environnants. Maintenant, j’arrive à distinguer une grande étendue verte. C’est une prairie sur laquelle on distingue souvent des oiseaux. Ils ont l’air de bien s’amuser. Les voir se poser dans l’herbe est magnifique. Les heures me paraissent longues. Pour moi, la situation n’est pas évidente, je ne me sens pas très bien. Souvent je suis triste.
Ce matin, maman reste avec moi. Avant de partir me chercher un peu à manger, elle m’a couvert d’amour. Ces mots sont doux et elle réussit à « me décider ». Il faut que moi aussi, je me lance.
Je dois arriver à surmonter ma peur. Je dois y arriver pour elle, pour papa, mais aussi pour moi.
Ce jour-là, c’est mon « jour » je le sens, je le sais.
Maman m’amène mes herbes préférées, celles qui te laissent un goût de fraîcheur dans le bec. J’ai l’impression que ce goût me fait du bien. C’est bizarre, je ne sais pas comment l’expliquer, mais je trouve que mon corps est différent.
Elle avait demandé à papa de ne pas être là. Elle lui avait expliqué qu’il était primordial que je ne ressente aucune pression et que tout soit le plus tranquille possible. Elle est trop forte maman, elle a tout compris.
Sans que je le sache, Papa, Leila, et même Ioda sont cachés à vingt mètres du nid dans un bouleau majestueux. Le soleil est radieux, il n’y a que quelques nuages blancs très hauts qui rendent le ciel bleu encore plus beau. Le vent est inexistant et la température parfaite, environ vingt-cinq degrés.
A 13 h 45, je monte sur le bord du nid. Maman est à côté de moi. Sans réfléchir après l’avoir rapidement regardée et sans attendre, je me jette dans le vide.
Je vis là un instant de peur absolue. Mon corps tombe, tombe, tombe.
Instinctivement, je bouge les ailes dans tous les sens. Tous mes mouvements sont désordonnés, mais, ô miracle, je flotte, je flotte dans l’air. Je fais du surplace. Je n’en reviens pas, ma peur a presque disparu.
Etendant ma voilure le plus loin possible, j’arrive à me déplacer sans tomber. Un coup à droite, un coup à gauche. Si je veux prendre un peu de hauteur, il me suffit de le vouloir et d’appuyer un peu plus sur mes ailes. C’est du délire, tout simplement génial.
Je suis heureuse comme jamais. Je sens que mon corps arrive à maîtriser l’ensemble des mouvements que je veux lui donner. Je me sens tellement bien que je reste dans les airs pendant une bonne minute.
Tous les conseils de papa me reviennent en tête :
« Apprendre à surmonter sa peur »
« Mettre tout en œuvre pour y arriver »
« Ne jamais renoncer ».
Toutes ces belles phrases que l’on comprend facilement, et que l’on rêve d’appliquer. Et là, juste en l’espace de quelques secondes, j’ai l’impression de toutes les vivre en même temps. Il y a des moments où tu sens que tu grandis très vite. Cet instant en est un.
Je reviens me poser à côté de maman sans problème, comme si j’avais fait ça toute ma vie. Je ne tremble même pas, tout me paraît normal.
Très rapidement, toute la famille se réunit. Je n’oublierai jamais cet instant, le plus intense de ma jeune vie.
Il y a chez tous un sentiment de bonheur et chez moi de la fierté.