Lekerly ma vie en bleue
Les mulets
Depuis maintenant trois semaines, Dédé travaille à la confection d’une palombière miniature pour orner la vitrine d’une de ses amies qui tient une chocolaterie à Hagetmau. Aujourd’hui est son grand jour, son Jour J à lui. Il a confectionné une œuvre qui fait deux mètres de long sur cinquante cm de large et soixante de haut.
Elle est démontable en trois parties, afin de la transporter. Le tout est réalisé à l’aide de divers bois, de ficelles et de substances végétales. Seules les plumes initialement d’origine ont dû être remplacées par des plumes en pvc pour cause d’hygiène.
Ce matin à dix heures, il est en train de l’installer. Il n’y a aucun hic. Le résultat est à la hauteur de ses espérances.
On y voit un tunnel serpenter dans un univers de forêt. Ce dernier monte jusqu’au poste de commande situé en haut d’un arbre. Lorsque l’on regarde de près, on voit de multiples détails. Il y a par exemple des trous de tir le long du couloir et l’on voit même un canon de fusil qui dépasse du poste de garde. Au bout du tunnel on peut distinguer un sol avec ses filets et sa petite volière servant de refuge aux poulets. Bien sûr toutes les ficelles de commandes sont présentes.
Les clients sont sous le charme et Delphine la patronne de l’établissement aux anges. Dédé a vraiment des mains en or.
La tradition des palombes est tellement marquée dans ce coin de Chalosse que les bleues rythment le quotidien de la vie automnale de ses habitants.
Franpa et Patrick l’ont rejoint. Dédé a droit, là aussi, aux félicitations bien méritées.
Franpa décide de la prendre en photo, non pas pour en faire une photo numérique qui resterait dans son ordinateur. Non il allait sortir un vrai cliché qui rejoindrait le mur Est de la cabane. Ce travail devait rester dans l’histoire de Capu.
Quant à Patrick, bien sûr, il désire aller plus loin. Il émet l’idée de la transporter à la palombière fin novembre pour qu’elle termine sa vie là-bas.
Avec son excitation classique, il parle d’en faire une œuvre sous vitre qui trônera à l’entrée de la chasse juste au niveau du panneau « Palombière, Sifflez ».
Il imagine la fabrication d’une protection vitrée, protégeant l’œuvre, le tout dans un coffrage boisé qui n’effraie pas les palombes. Quand il émet l’idée à ses amis, Dédé ne peut s’empêcher de soupirer en levant les yeux au ciel et Franpa baisse son visage en secouant légèrement la tête. Encore une idée qui
va perturber son quotidien. Il peste de ne pouvoir lui-même trouver la solution.
Patrick est conscient de ses lacunes, il se sait souvent un peu « YaKaFoKon ». Alors, il range l’idée dans un petit coin de sa tête, en se disant qu’il dispose de dix mois pour trouver la solution.
Le panneau « Palombière, Sifflez » est un classique de tous les postes. Il prévient les arrivants de l’existence d’une palombière. Ces derniers se doivent de siffler fort pour que le chef de cabane puisse leur donner l’autorisation d’entrer. Celle-ci se fait par une réponse gutturale qui se résume en un « HOOO » bien distinct.
En revanche, si les chasseurs sont en train de « jouer » un vol de palombes, il n’y a pas de réponse ou un simple coup de sifflet. Du coup, les arrivants ont l’obligation de se cacher dans les fougères environnantes et d’attendre le feu vert à venir.
Sur les coups de midi, les trois compères partent chez Francis au sud de la ville pour se faire offrir l’apéritif.
Comme Franpa et Dédé, Francis a installé deux grandes volières à son domicile pour garder pendant dix mois de l’année les appeaux indispensables à la chasse. Une est réservée aux pigeons et l’autre aux palombes.
L’automne va très vite arriver et il faut faire la revue d’effectif.
Cette année, Francis est très déçu. Depuis maintenant trois ans, il tente de faire naître en volière des « mulets » issus du croisement d’une palombe et d’un pigeon. Pour cela il les isole dans une petite volière supplémentaire.
Les mulets ont des battements d’ailes et une apparence physique très proches de la palombe mais leur comportement beaucoup moins sauvage. On arrive même après dressage, à les utiliser comme appeaux sans casque, contrairement aux palombes.
Encore une fois ses efforts ne sont pas récompensés. A la fin du printemps un couple a pondu deux œufs, il avait fondé beaucoup d’espoir, mais, il n’y a pas eu de naissance.
Il pestait, mais il ne voulait pas déposer les armes. Il se faisait un objectif d’y arriver.