Lekerly ma vie en bleue
Les différents migrateurs
Ce matin Patrick est présent, il a une patate d’enfer.
Il est parti de Paris en voiture la veille à dix-huit heures et est arrivé à deux heures trente dans sa belle Chalosse.
Dès le réveil, il retrouve ses bonnes habitudes automnales. Après une rapide douche, il saute dans ses affaires de chasse et hop, direction le centre-ville d’Hagetmau avec son parcours traditionnel.
A sept heures trente, il s’arrête en premier chez « Coudroy » son boulanger pour prendre sa chocolatine et le pain frais, puis direction la librairie « Laffite » pour l’indispensable Sud-Ouest et il fonce à la boucherie « Labarthe » pour la viande du midi.
Un parcours qu’il adore faire à vive allure. Et oui, il ne veut pas perdre de temps. Dès qu’il met un pied hors du lit, il n’a qu’une envie, être au poste de guet de Capu.
Souvent, son périple lui permet de rencontrer d’autres chasseurs, mais en ce début de saison, il ne croise personne, donc pas de blablatage si ce n’est un rapide conseil de Michel Labarthe avec un « Ne va pas si vite, ça va faire du mal à ton cœur !!!».
Aujourd’hui, il décide que le repas du midi sera constitué de travers de porc que l’on appelle ici « coustouns ». Frais et grillés sur le barbecue, c’est un morceau de viande délicieux que l’on grignote jusqu’à l’os.
À huit heures, il est en poste à la cabane et fait bouillir l’eau pour le café. À huit heures dix les quatre chasseurs ont tous leurs regards en mode recherche lointaine. Le temps est dégagé et les premiers rayons de soleil donnent un charme fou à la forêt.
Patrick aime comparer ce moment à un passage du film « Le jour le plus long », où l’on voit en Normandie, un sous-officier allemand inspecter à la jumelle l’horizon de la mer. Tout d’un coup se dessinent devant lui de multiples points noirs qui prennent sa direction et qui grossissent à vue d’œil. Ces points noirs ne sont autres que les bateaux du débarquement allié. Mais ici, ce sont les bleues qu’on attend.
En ce début de saison, chaque chasseur veut annoncer le premier vol. Au fur et à mesure des années, c’est même devenu un véritable concours. Bien sûr, par moments, ils voient passer des sédentaires, qu’ils appellent les « bousquères » mais celles-là Francis ne veut pas qu’on y touche. Elles sont avec lui toute l’année quand il travaille à Capu. Donc, il y a interdiction de les déranger.
A l’automne, beaucoup d’oiseaux effectuent une migration pour passer l’hiver dans des contrées où seront absents froid et neige et chaque chasseur a son oiseau fétiche.
Francis est un amoureux des grives, l’année dernière on a eu la chance d’en voir beaucoup. Des vols de dix à cinquante unités bien rapides qui filaient vers le sud. Il a aussi un faible pour les draines que l’on appelle « Tiatia », elles ressemblent aux grives en étant presque deux fois plus grosses mais on en voit beaucoup moins.
Dédé est un passionné des rapaces, il aime les repérer et les reconnaître. Il en est devenu un véritable spécialiste.
Franpa préfère se concentrer sur les alouettes avec leurs petits cris de migration qui attirent l’attention de tous.
Quant à Patrick, lui c’est un fou furieux des grues, ces grands oiseaux qui volent en V. Des oiseaux que tous les paloumayres aiment, il faut dire qu’il existe un dicton régional qui dit « Vols de grues, palombes au cul ». Et souvent ce dicton se révèle exact.
Mais l’oiseau le plus « historique » de leur beau département, on n’en voit pratiquement jamais. Il s’agit de l’ortolan, un passereau qui migre de la mi-août à la fin septembre. Cet oiseau a une histoire bien à part. Il y a quelques années, les ortolans des
Landes étaient renommés dans la plupart des grandes villes, et particulièrement à Paris. Ils étaient servis avec honneur sur les tables les plus somptueuses de la Capitale, et notamment lors des dîners donnés à l'Elysée. On les dégustait directement avec ses mains avec une grande serviette posée sur sa tête, officiellement pour bien humer les odeurs délicieuses qui s’en dégageaient, officieusement pour éviter de montrer aux autres convives qu’on s’en foutait partout.
L’ortolan est en effet un oiseau que l’on déguste une fois qu’il s’est engraissé. Au final, quand il est cuisiné, c’est une petite boule de graisse très parfumée.
Franpa a toujours regretté de ne pas avoir connu cette chasse qui consistait à les capturer vivants grâce à des petits pièges que l’on appelle matoles. Avec, comme pour la palombe, tout un système d’appeaux pour les attirer.
Beaucoup, lui avaient décrit cette chasse comme fabuleuse. Mais de nombreux abus ayant été constatés et elle est maintenant interdite.
Cette journée est magnifique, mais pas une seule bleue n’est repérée.
Les débuts de saisons ont toujours une saveur à part, où coexistent un mélange de sérénité et d’espoir.
Et même quand les palombes sont absentes, on a toujours, à cette période de l’année, la possibilité de régaler ses yeux.