Lekerly ma vie en bleue

publié le Lundi 12 Octobre 2020

La séparation

publié le Samedi 31 Octobre 2020

Le 11, à l’aurore, c’est finalement un vol réduit de vingt-quatre palombes qui quitte Labouheyre.

Toute notre famille suédoise en fait partie ainsi que celle de Karen. Vlad et ses copains Biélorusses sont aussi de la partie.

Même si elle commence à s’habituer à la région, Lekerly est toujours émerveillée par cette forêt de pins qui n’en finit pas. Si, par respect, elle laisse le top départ à son père, très vite elle prend les commandes du groupe.

Au bout d’une cinquantaine de kilomètres, les prairies et les champs de maïs se multiplient et très rapidement juste au sud d’un beau petit fleuve que l’on appelle Adour, le relief fait son apparition. Depuis plus de 100 kilomètres tout est plat et là juste après le fleuve les premières collines se dessinent. 

Du coup le vol prend de la hauteur, il vient de passer au-dessus de Saint-Sever. La légère brume matinale qui est présente notamment le long du fleuve vient de se dissiper et tout devant on distingue nettement la chaîne des Pyrénées. C’est la première fois que les jeunes palombes voient une chaîne de montagnes aussi bien dessinée à l’horizon.
Une semaine plus tôt, elles ont remarqué par moments des formes impressionnantes au niveau de l’Auvergne, mais le temps était très nuageux. Là le spectacle est magnifique.

Dans les prairies, on voit de plus en plus souvent des petites maisons avec tout autour des centaines de poulets et de canards. C’est la première fois que Lekerly voit de tels regroupements, elle aimerait bien en savoir plus, mais il faut continuer, l’Espagne n’est pas loin.

En passant sur Serres-Gaston apparaît soudain une grande plaine couverte par un champ de maïs. Une parcelle est déjà récoltée. Pour le groupe c’est une halte bienvenue. En arrivant à hauteur, le vol distingue deux oiseaux qui en partent pour se poser sur le petit massif de chênes en lisière. 

En approchant, on distingue nettement une dizaine de palombes à la cime des arbres. Ça virevolte de partout. Le groupe ne met pas longtemps pour venir s’en approcher. Bien caché dans sa cabane perchée en haut d’un chêne trapu, Brudan un paloumayre ami de Franpa est aux commandes de ses appeaux. A côté de lui se trouve un invité. Voyant le vol qui fonce sur eux, il lui dit de se tenir prêt.

Logiquement Brudan est un paloumayre à part. Passionné de photo, il sort toujours en premier son appareil dès qu’il pose un vol. Mais aujourd’hui il a 
un invité qui de surcroît ne doit rester qu’une journée, alors pour une fois il l’oublie.

Lekerly est l’une des premières à se poser. Elle atterrit juste à côté d’une drôle de palombe, en réalité il s’agit d’un mulet.

Quelques secondes plus tard retentit un bruit énorme, une détonation.

Les palombes déjà posées partent immédiatement, celles qui sont toujours en vol continuent leur chemin.

Ce bruit a été terrifiant et l’ensemble du groupe s’est scindé en trois. Lekerly est partie tout droit vers la forêt alors que la plupart des autres palombes sont reparties dans le sens opposé. Au bout de dix secondes, elle s’aperçoit qu’elle n’est qu’avec Vlad et une autre Biélorusse.

Elle tourne sur sa droite, cherchant le reste du groupe et ne voit rien. Puis, elle retourne sur le grand champ en prenant de la hauteur. Mais rien, rien du tout. Très rapidement elle comprend qu’elle ne reverra sans doute plus sa famille.

Tout était allé très vite, le paysage était superbe. Cette petite forêt de chênes qui longeait le champ était magnifique. Tout le groupe était ravi de faire une halte et en cinq secondes tout avait changé.
Lekerly continue à chercher pendant cinq bonnes minutes, les deux autres palombes l’accompagnent toujours. Soudain, elle voit un petit vol de huit palombes qui vole haut en direction des Pyrénées. Elle décide de les rejoindre avec un léger espoir. Malheureusement ce sont des palombes complètement inconnues.

Lekerly savait qu’il y avait de très grandes chances d’être séparée du reste de sa famille. Pendant 2000 km tout s’était bien passé et là au lieu-dit « Cocuré » tout s’était arrêté.

Maintenant, elle vole machinalement. C’est la première fois de sa vie qu’elle se retrouve seule. Elle ne peut s’empêcher de regarder à droite et à gauche, mais au fond d’elle, elle sait qu’une nouvelle vie commence !

Lekerly doit continuer sa migration, mais elle est triste, très triste.