Lekerly ma vie en bleue
La mer de Bothnain
Notre vie de palombe est réglée de manière surprenante, nous vivons deux périodes annuelles très différentes.
De Mars à Juillet, notre vie est en effet essentiellement familiale, puis le reste de l'année nous vivons en société. Pendant ce deuxième cycle, certains humains disent de nous que nous avons un comportement grégaire. Avoir un comportement grégaire implique que l’on agisse en groupe pour sa sécurité, sans direction prévue.
En parlant de nous de cette manière, c’est bien la preuve qu’ils ne nous connaissent pas. Pour moi c’est clair, nous vivons en société.
Nous sommes déjà mi-août, je ne vois pas le temps passer, chaque jour est propice à de nouvelles découvertes. Je rencontre de plus en plus de nouvelles palombes. Quotidiennement, je fais de nouvelles connaissances et parfois, ce sont des familles entières.
Certaines me font rire, en particulier les Bergström.
Les Bergström ne sont pas des palombes comme nous. En fait, il s’agit de nos petits cousins qu’on appelle « colombins », « bisets » ou dans le sud-ouest « rouquets ».
Ils sont plus petits que nous et n’ont pas la même couleur de plumes. Ils volent souvent en famille et ils vont très vite, tous groupés les uns contre les autres. Quand ils veulent se poser, ils sont capables de piquer sur leurs branches d’atterrissage comme des avions. J’adore faire des courses avec eux. Que ce soient les parents ou les enfants, ils sont tous un peu fous et ils rigolent tout le temps.
Dans notre communauté, je commence à être de plus en plus connue. J’adore passer du temps avec mes nouvelles rencontres, notamment avec les. aînés Ils ont de multiples anecdotes à me raconter. Ce sont des véritables puits de science. Auprès d’eux je complète les connaissances que m’ont données mes parents.
Les journées d’août sont très belles en Suède. La température est clémente, il ne fait pas trop chaud, environ 18 degrés et nos balades sont de plus en plus longues.
Aujourd’hui papa désire nous faire découvrir l’arbre le plus vieux du monde le « Old Tjikko », cet arbre qui ne fait que quatre mètres de haut a des racines qui ont plus de neuf mille cinq cents ans et se situe dans la forêt de Fulurf Jället.
Mais dans un premier temps, il nous amène à Gävle, une belle ville située à 80 kilomètres au nord de Sälna. Des vents soutenus venant du sud nous permettent d’y arriver très vite.
Arrivés sur place, je distingue devant moi un lac énorme et comme souvent je passe en tête pour imprimer le rythme du vol. L’eau au sol est magnifique, le soleil se reflète et l’on peut même voir nos ombres traverser les vagues.
Rapidement, papa vient à ma hauteur et me demande de le suivre. J’obtempère et quinze secondes plus tard, il repart en sens inverse. Toute la famille le suit et nous nous posons rapidement sur un petit chêne.
Devant tout le monde, papa me félicite de mon envie de découverte. Puis il me demande d’un ton sec où je voulais aller. Je lui dis, « tout droit papa pour traverser le lac ».
Là, il nous apprend qu’il ne s’agit pas d’un lac mais d’une mer, la mer de Bothnain.
Une mer, c’est comme un lac mais quand tu commences à voler au-dessus de l’eau, il n’y a que de l’eau et si tu fatigues tu ne peux plus te poser et tu finis par te noyer.
Avec Ioda et Leila, nous sommes pétrifiés.
A partir de ce jour, jamais au grand jamais, on ne s’est aventurés sur un lac si on ne voyait pas une autre rive en face.
Nous rentrons sur Sälna en fin d’après-midi.
Les dix derniers kilomètres sont très durs pour Leila. Elle est de loin la moins endurante, et aujourd’hui, elle est très fatiguée. Plusieurs fois, elle demande à maman de s’arrêter. Mais papa refuse. Le vent souffle de plus en plus fort et comme il arrive face à nous, il faut que l’on dépense beaucoup d’énergie pour avancer.
Une fois arrivée à notre destination, elle est exténuée. Après dix minutes de repos, papa nous explique pourquoi il a refusé que Leila s’arrête pour se reposer.
Il nous dit qu’il ne connait pas trop le secteur et que par conséquent il a préféré être prudent. Dès que l’on parle sécurité il est important d’écouter.
De plus, il est impératif de rester en groupe, car si on se retrouve seul on est plus facilement attaquable par nos ennemis. Plus particulièrement, par l’autour qui souvent se cache dans un arbre et qui s’attaque facilement à une palombe seule.
A partir de maintenant, il ne veut plus que l’on vole sans être accompagné.
Encore une fois, papa nous apprend à nous défendre contre cette nature qui peut être aussi dangereuse que belle.