Lekerly ma vie en bleue
La forêt des Landes
Le 8 octobre, après deux jours de repos, le groupe est formé maintenant de quarante-trois palombes.
Continuer la migration avec les deux vols paraît complexe au vu du très grand nombre de jeunes palombes qui le composent. Lekerly et son père décident donc de ne faire qu’un vol.
Mais avant de partir des consignes fermes sont données.
Pendant au minimum quatre heures nous allons voler sans aucune halte. Les vents sont au nord-est. Nous allons prendre une bonne altitude de croisière, minimum cent cinquante mètres au-dessus du sol. Si certaines sont trop fatiguées, elles devront décrocher et attendre un nouveau vol.
Aujourd’hui, au vu de son importance, le groupe ne peut pas attendre les retardataires. Et encore une fois la consigne primordiale est donnée. « Si nous sommes séparées vous devrez continuer, cap au sud. Nous allons maintenant approcher des Pyrénées. Sachez que dans quelques kilomètres, nous serons déjà dans des régions tempérées où vous pourrez passer l’hiver. La nourriture devrait y être présente en quantité et la future neige hivernale pratiquement absente. Mais, si vous désirez nous suivre, notre destination est la destination historique
de notre espèce, l’Espagne ou le Portugal. Nous les Suédoises, nous y allons, vous voulez y aller, on vous y amène ».
Et tout le monde part donc en même temps sur le coup des 8 heures.
C’est la première fois que Lekerly se retrouve aux commandes d’un vol aussi important.
La veille, elle a longuement parlé avec sa famille, tous savent bien qu’ils peuvent facilement être séparés. A partir de maintenant, il y aura de plus en plus de palombes et il sera impossible de se retrouver. Si nous sommes séparées, nous nous retrouverons au printemps prochain ...... à Sälna !!!!
C’est le destin de notre espèce, une vie familiale très forte pendant cinq mois et une vie communautaire pendant sept mois.
A chaque période un style de vie différent.
Au bout de trois heures, le groupe n’est plus constitué que de trente-neuf unités et la plus grande forêt artificielle européenne se présente devant eux. C’est la forêt des Landes et de Gascogne, une forêt de pins qui s’étend sur des kilomètres et des kilomètres. Elle est immense et couvre en partie trois départements, la Gironde, le Lot et Garonne et les Landes. Des pins, des pins, du maïs et des pins. Spectacle extraordinaire, une forêt qui ne s’arrête
pas. A un moment on vole tellement haut que l’on a l’impression de voir sur notre aile droite une mer à l’horizon.
On voit aussi quelques autres groupes qui volent à la même altitude que nous.
Souvent, au-dessous de nous, on aperçoit des palombes qui gesticulent en haut des pins, mais pas question de s’arrêter tant que notre objectif n’est pas atteint.
Sur les coups de midi, la fatigue commence à se faire sentir chez beaucoup. Trente minutes plus tard, le vol plonge sur un énorme champ de maïs où vient de se poser une petite volée de huit palombes.
Une halte est indispensable. Après s’être bien alimenté et désaltéré Fabio nous trouve un superbe dortoir.
Nous sommes arrivés à Labouheyre, une petite ville du nord des Landes.
Une ville habitée à la fin du XIXème et au début du XXème siècle, par Félix Arnaudin, un célèbre photographe, écrivain et poète que l’on appelait « Lou Pec ». Quel dommage qu’il n’ait pas réalisé de photos de la migration de l’époque. Mais de son temps, la photo s’effectuait avec des plaques de collodion. Et pour qu’elles soient réussies, il fallait
que les sujets photographiés restent immobiles. Avec des palombes ce n’était pas gagné.
Lekerly est enthousiaste. Elle trouve cette forêt très spéciale. Dès qu’elle rejoint les arbres, une sorte d’ombre chaude l’entoure. Le sentiment est étrange, elle a l’impression d’être protégée par l’odeur qui règne. Les pins qui l’entourent sont déformés par les vents, mais leur long tronc semble s’élever vers la lumière du ciel. Chaque tronc est recouvert d’une écorce dont la couleur change en fonction des heures. On y voit de l’orange, du noir, du rouge, du violet, bref, le tout est indéfinissable.
Ce qui la surprend le plus est la sérénité qui règne sur la zone. Elle a l’impression d’être entourée d’ondes positives.
C’est dur à expliquer, mais elle se sent bien, elle se sent très bien.