Lekerly ma vie en bleue

publié le Lundi 12 Octobre 2020

La chasse aux filets

publié le Lundi 12 Octobre 2020

A 9 heures Franpa arrive à Capu.

Depuis qu’il est à la retraite, Franpa vit bien son quotidien. Lui qui était tenu à respecter horaires sur horaires pendant sa vie professionnelle et familiale, il y a aujourd’hui une sorte de jouissance régulière pour tous ces moments où il n’a plus « d’heure », ou du moins le moins possible.

Ce mardi 21 juillet, on fête la Saint-Victor. « Victor » le prénom de son père trop tôt disparu. Naturellement, il a une forte pensée pour lui. C’est Victor qui lui a transmis l’amour de l’oiseau bleu. Il se souvient de sa jeunesse et du bonheur qu’il avait à s’endormir les vendredis soir du mois d’octobre.

Pas besoin de réveil, son horloge biologique suffisait et à partir de ses 14 ans, dès le lever du soleil, il était déjà habillé et il l’attendait. Il aimait tellement ça que dès le lundi matin, il y pensait.

L’année de son décès en 1981 Franpa, alors âgé de 27 ans avait tenu à planter six chênes, un pour chaque lettre du prénom de son père. Les six avaient bien pris et aujourd’hui, ils délimitent naturellement le poste « filet » situé au fond de la chasse. C’est dans cette zone que l’on tente d’attraper vivantes les bleues.
La chasse au filet est ce qu’il préfère. Il faut d’abord convaincre les migratrices de se poser sur les arbres. Pour cela, dès qu’un vol est repéré, le chef de cabane tire à partir du poste principal des ficelles. Celles-ci sont reliées à l’ensemble des appeaux qui équipent la chasse. Les appeaux ou appelants sont des oiseaux vivants destinés à attirer les palombes sauvages.

A Capu, il a, à sa disposition des pigeons et des palombes. 

Certains pigeons sont dénommés les « Balanciers ». Ils sont placés sur de longues barres à la cime des arbres. Quand on les actionne, on les fait monter de 50 cm. Pour revenir à leurs positions d’origine, ils battent très fortement des ailes imitant ainsi des oiseaux qui se posent.

D’autres pigeons eux, sont dressés pour aller d’un pin à un autre en suivant un fil transparent auquel ils sont reliés. On appelle ces appeaux des « va-et-vient », « funambules » ou des « semi-volants ». Il suffit de tirer sur une ficelle et ils passent ainsi d’arbre en arbre.

Des palombes sont elles aussi positionnées en haut des pins sur des barres amovibles qui peuvent légèrement s’élever permettant à l’oiseau de se mouvoir.
Le chef de poste actionne depuis la cabane principale ces appeaux en tirant simplement sur des ficelles. Ce dispositif a pour but d’attirer l’attention des migratrices. La plus grande difficulté est de bien les « donner », notamment en fonction du vent. Il est également impératif de réaliser cette manœuvre en tenant compte de l’approche du vol et dès qu’un oiseau se pose, il faut tout arrêter pour ne pas les effrayer.

Suivre un vol en donnant les appeaux n’est pas chose aisée. En effet, on doit les actionner en les regardant, afin de vérifier leur bon fonctionnement, mais en même temps, il faut suivre l’évolution du vol. Souvent, le chef de cabane œuvre en confiance avec un autre chasseur qui ne fait que suivre le vol et qui par sa voix, le conseille.

A Capu, c’est Dédé qui est aux commandes des appeaux et très souvent c’est Franpa qui joue le rôle du conseiller.

Une fois le vol posé, il faut s’armer de patience. Sur place, tout est fait pour leur offrir le gîte et le couvert, en leur faisant croire que l’endroit est sûr. L’ensemble des installations se confond avec la nature.

Bien caché dans les tunnels, on imite à l’aide de sa gorge son moyen de communication. On dit qu’on roucoule. Puis, on utilise le bruit des ailes d’un pigeon fixé sur une barre. Cet appeau est « l’appeau de cabane » que l’on appelle aussi « semet ». Il est attaché sur une barre fixe que l’on prend en main et que l’on actionne de haut en bas. On espère ainsi que le bruit d’ailes provoqué, incite les bleues à descendre sur un sol où certaines de leurs congénères sont enfermées dans une cage grillagée en guise d’appelants. Bizarrement, on appelle ces dernières les « poulets ».

Le « jeu » du filet tient souvent le chasseur en haleine. Il peut durer entre cinq minutes et une heure. Parfois, il faut attendre assez longtemps qu’une première palombe descende de branches en branches jusqu’au sol et si tout va bien, rapidement, d’autres la suivent.

Les filets eux, sont constitués de deux pantes horizontales maintenues par de puissants ressorts. Ils sont reliés à un câble que l’on peut actionner depuis le tunnel. C’est au chasseur de savoir quand il doit les « fermer » et à ce jeu, l’espoir du gros coup se finit souvent en zéro pointé. Car à trop attendre, il suffit d’un détail pour que tout le vol déguerpisse. Un simple bruit, une branche qui tombe, un épervier qui survole la chasse et parfois un « Je ne sais pas » fait partir tout le vol. C’est toute cette incertitude qui fait l’intérêt de la chasse aux filets et c’est pour cela que Franpa l’adore.

Il aime souvent dire « La chasse à la palombe, c’est pas simple ».